Robin
ne fait pas partie de cette race d'aventuriers tapageurs et bruyants pour
qui l'exploit ne peut être que médiatique. L'ancien membre
du groupe Haute performance de la FFME (Fédération
Française de la montagne et de l'escalade), accomplit ses rêves
pour lui même. Quand il décide de passer le cap le plus fameux
de l'histoire de la navigation, les récits qui l'accompagnent sont
ceux des navigateurs espagnols du XVème siècle, les images
qu'il emmène sont celles des tempêtes effroyables, des îles
balayées par le vent, des lions de mer et des otaries. La mythologie
de l'exploit n'est pas son truc et il se fiche des premières. C'est
sans doute le meilleur passeport pour les mers australes.
Arrivés par avion à Punta Arenas, dernière grande
ville du Chili, les deux copains de 29 ans ont effectué un périple
de plus de trois mois et près de mille kilomètres plein
sud pour atteindre le cap Horn. Il s'agit certainement d'une aventure
qui n'avait jamais été réalisée en kayak,
mais peu importe, là n'était pas le but d'une histoire de
passionnés. La plaisir, ils l'ont trouvé dans la nature
hostile de ce bout du monde.
Il y a des jours où nous ne pouvions pas naviguer car
la mer était trop grosse, les vents trop forts. En kayak, on supporte
bien du 30km/h de dos, au dessus ça devient engagé. Nous
restions parfois deux ou trois jours dans notre tente à regarder
les éléments se déchaîner, dans une nature
complètement impénétrable . Toute cette
portion du continent sud-américain est un chapelet d'îlots
à la végétation dense, humide et rabougrie. Les vents
glaciaux venus de l'Antarctique, à peine 900 km plus au sud, souffernt
en continu. La température, même en plain été,
ne dépasse jamais les 10° et tombe souvent en négatif.
Dans le canal Cockburn, nous sommes restés 10 jours.
Nous nous demandions ce que nous faisions là, complètement
frigorifiés et mouillés, loin de tout. Nous doutions presque
du bien fondé de l'expédition. Puis le vent finit par se
calmer et quelques rayons de soleils réapparurent. La beauté
des glaciers de l'extrémité sud des Andes tombant dans la
mer répondit à toutes nos questions .
Les estancias abandonnées leur rappelle les vaines tentatives de
colonisation d'autrefois et quelques rencontres surprenantes viennent
même égayer le voyage. Dans les contreforts de la cordillère
Darwin, ils croisent un autre Haut Savoyard, le skipper Bertrand Dubois.
Drôle de rencontre que cet étonnant bonhomme après
autant de semaines sans parler... Bertrand et sa femme vivent sept mois
par an à Ushuaia et le reste du temps en Haute Savoie. Durant leur
saison en Patagonie, ils emmènent sur leur voilier des touristes
en mal d'aventure se battre dans les mers australes. La conversation roule
bien vite sur la mer et la montagne, les hommes partageant les mêmes
goûts des endroits extrêmes. Plus loin, ils tombent sur le
bateau de Jean Louis Etienne, racheté par le grand navigateur Peter
Blake (Peter Blake est décédé en Amazonie à
bord de ce voilier, baptisé Seamaster, le 5 décembre 2001.
Il a été froidement abattu par des pirates). Le secteur
du Horn a un grand pouvoir de fascination...
Les bonnes journées, Robin et Olivier parcourent 70km à
une vitesse moyenne de 6km/h. Naviguant dans les eaux chiliennes, ils
décident de ne pas se rendre à Ushuaia, en Argentine, ville
considérée comme la plus australe du monde. Située
en zone franche depuis les années 80, Ushuaia s'est aussi développé
grâce au tourisme pour atteindre 45 000 habitants dans une
ambiance de Far West. Passé la ville, un arrêt est nécessaire
dans la bourgade chilienne de Puerto Williams afin de recevoir les autorisations
pour se rendre au cap Horn. La moitié des 2000 habitants sont des
militaires. Cette zone est très stratégique
et les militaires délivrent au compte goutte les autorisations
pour le Horn. Le côté sympathique de Puerto Williams, c'est
la rencontre avec des personnages excentriques, comme ce couple d'américains
qui a parcouru 7000 km à pied du nord au sud du Chili pendant un
an pour finir par se marier ici... témoigne Robin.
Cette dernière halte permet de recharger les batteries avant la
navigation finale, la plus dure, la plus belle, celle du cap mythique
qui a jeté à l'eau tant et tant de marins.
Ils engagent la traversée les séparant des derniers remparts
du cap Horn un lendemain de tempête. Dans cette zone, les perturbations
frappent aussi rapidement que violemment, empêchant tout opération
de sauvetage. Heureusement qu'en ce début d'hiver les conditions
n'empirent pas trop. Après l'île Herschel, la
dernière terre avant d'attaquer le cap proprement dit, on a vraiment
eu une sensation de bout du monde. Et on a repensé avec respect
aux navigateurs du XVème et XVIème siècle qui se
lançaient dans ces mers hostiles et complètement inconnues .
Les kayakistes feront le tour de l'île Horn en passant le cap d'ouest
en est. Tout simplement heureux de sortir vainqueur sur leurs modestes
embarcations d'un des endroits terrestre les plus inhospitaliers pour
l'homme.
Une expédition
à petit budget
Olivier
Mouzin, chercheur en mécanique, à quitté son laboratoire
de biomécanique aux Etats Unis pour rejoindre l'équipe Mavic,
spécialisée dans la construction de roues, cadres et accessoires
de vélo. Robin Givet, ingénieur en géotechnique passe
une grande partie de son temps à sonder les fonds marins. Tous
les deux ne sont pas des pros de l'aventure et ils ont financé
eux même cette expédition dont le budget global s'élève
à 9000€ matériel et vivre compris.
Ils se sont faits aidés par Dagger et Harmony, fabricants américains
de kayaks et accessoires, ainsi que la firme anglaise Yak (vêtements)
qui leurs ont mis à disposition du matériel moins cher.
Ce n'était pas la première aventure de Robin Givet en kayak.
Il avait notamment remporté une bourse de la Guilde Européenne
du Raid qui lui avait permis de faire le tour des îles Vanuatu en
kayak solo. L'ex-pensionnaire du groupe haute performance
de la FFME a aussi participé à plusieurs expéditions
d'élite en haute montagne, notamment l'ouverture de voies dans
le Pamir, ainsi que l'ascension de plusieurs 7000 mètres.
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